Haïti, trois ans déjà
Cet été, avec la projection du dernier film de Raoul Peck « Fatal assistance » la section Grande Tribu du Festival nous replongera (entre autres) au coeur de la société haïtienne, trois ans après le séisme de janvier 2010. Trois ans aussi après l’édition « Caraïbes » du 33e Festival de cinéma de Douarnenez. L’occasion ici de prendre des nouvelles de Bayard Jean-Bernard, invité en 2010 en tant que jeune réalisateur et étudiant du Cine Institute de Jacmel (avec également Donald Charles). Ils présentaient alors des films tournés dans la période immédiate suivant le tremblement de terre, témoignaient de leur expérience, vivaient le Festival... |
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Extraits d’un échange de mails :
Kezako : Bayard, comment vas-tu, comment vont tes projets depuis 2010?
Bayard : Je dois dire que les Festival de l’île de Groix* et celui de Douarnenez ont éclairci un rêve : l’envie de créer le Festival de l’Amitié dans ma ville natale Jacmel en Haïti. Chose réalisée en décembre 2012 pour la première édition. De retour de différents voyages aux États Unis et en Europe, je me suis mis à l’écriture totale du projet, la recherche de financement, le montage de l’équipe et la logistique. J’ai répondu à un projet lancé par l’Union Européenne en Haïti via leur programme ARCADES**, notre projet a été retenu. Depuis je m’occupe principalement du festival, en tant qu’initiateur et comme directeur artistique. Le Festival de l’Amitié (FA) est un festival multidisciplinaire qui a pour objectif de promouvoir la culture haïtienne et faciliter les échanges entre les Haïtiens et les autres peuples via la culture. Le projet FA consiste à réaliser des ateliers de formations dans différents métiers d’art, (ateliers de danse contemporaine, de verre soufflé, de caoutchouc art récupération, de jazz, de tambour traditionnel haïtien...). Le travail réalisé pendant deux mois d’atelier est présenté pendant la semaine du Festival dans différents lieux publics de la ville de Jacmel. Et tout est gratuit pour le public! Nous avons aussi fait une sélection de films haïtiens et des films de réalisateurs étrangers sur Haiti, de sujets étrangers, des concerts (rock haïtien, jazz, hip-hop local et reggae local). Depuis 2010 je n’ai donc pas arrêté de travailler à la mise sur pied du Festival de l’Amitié à Jacmel. Je dois mettre l’accent sur le fait que nous avons eu le privilège de faire la grande première haïtienne du film « Wòch Nan Solèy » (Stones in the Sun), de la réalisatrice haitiano-francaise Patricia Benoit. Ce film a été tourné à Jacmel et à New York en collaboration avec Ciné Institute en 2009. J’ai travaillé dans les deux villes sur le tournage de ce film, qui pour moi est l’avenir concret du cinéma haïtien. Bon maintenant que s’achève la première édition de FA, je suis de nouveaux à la recherche de financements pour continuer les ateliers et le festival. Entre-temps je continue à travailler aussi dans le cinéma, avec le Ciné Institute, je suis impliqué dans la production de documentaires, de spots publicitaires ou de clips musicaux. Donald Charles qui m’accompagnait à Douarnenez continue comme moi dans le domaine, il était justement au Festival de Cannes avec Pierre Lucson Belgarde, un autre étudiant du Ciné Institute, cette année avec un nouveau projet.
K. : Cet été sera projeté le film de Raoul Peck, “Fatal Assistance”, qui tout en suivant les coulisses de l’intervention d’aide internationale suite au séisme de janvier 2010, dénonce clairement son échec et les failles de l’organisation humanitaire internationale. Comment vois-tu la situation à l’heure d’aujourd’hui en Haïti?
B. : Le changement qu’attend le peuple haïtien n’a pas toujours eu lieu trois ans et demi après le séisme meurtrier du 12 Janvier 2010. Beaucoup de bâtiments du service public ne sont pas encore reconstruits, mais aussi de simples foyers familiaux... L’épidémie du choléra qui est arrivée quelques mois après le séisme est encore mal gérée, les gens meurent encore du microbe, les hôpitaux et centres de santé débordent toujours à chaque petite saison de pluie. Beaucoup de médecins, des ONG et de projets de santé anti-choléra ont quitté Haïti. Il y a quelques mois, des malades du choléra mouraient dans un centre de santé à Belle-Anse, une commune du département du sud-est. Le personnel de santé, après avoir lancé un SOS à la radio, a fini par abandonner le centre de santé parce que l’État haïtien leur devait des mois de salaire et qu’il n’y avait plus de matériel et médicaments pour les patients : ce fut un vrai scandale! Parallèlement, il y beaucoup de projets qui sont au démarrage. Des hôpitaux, des écoles et routes se construisent. Le gouvernement Martelly-Lamothe fait beaucoup d’efforts pour
augmenter le nombre d’heures d’électricité dans la capitale Port-au-Prince et agrandir le réseau dans des villes de province. Aussi le gouvernement avance avec le programme de scolarisation gratuite et d’autres programmes sociaux pour la population. La ministre du tourisme travaille beaucoup pour remettre Haïti sur des forfaits de voyage d’agences et lignes aériennes du Canada et des États-Unis. Une étude est en cours pour l’agrandissement de la piste de l’aérodrome de Jacmel pour le transformer en aéroport international. Voilà qui donne de l’espoir. Mais comme je le dis toujours, l’Haïtien doit savoir que c’est à lui de prendre soin de lui même et de résoudre ses propres problèmes.
K. : Un message à passer au Festival, aux festivaliers?
B. : C’est avec le même plaisir, la même joie, la même énergie que j’avais en 2010 que je veux saluer toute l’équipe et les festivaliers de Douarnenez. Ce festival est l’un des meilleurs que je connaisse, j’adore la solidarité des festivaliers. En 2010, où pour la première fois de ma vie on m’a chanté joyeux anniversaire au micro sur la place de la poste, ce fut une très beau cadeau pour moi. J’aimerais revenir, je veux bien une part de « kwinaman » !
A suivre ...?
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Olivier