Ghassan Salhab, à la marge
Café Rawda, corniche de Beyrouth. Lumière dorée de Novembre. Peu de clients. Première rencontre avec Ghassan Salhab. Il nous a prévenus tout de suite : nous ne l’épinglerons pas comme « cinéaste libanais », comme on épingle des papillons colorés sur un tableau de chasse.
Non, il nous laissera tout d’abord voir ses films, tous ses films, et comprendre tous seuls à quel point il est insaisissable. Cinéaste à la marge, dans les marges, il revendique avec obstination d’écrire une histoire de Beyrouth et de son pays différente de tout ce que les critiques et analystes voudraient bien nous laisser entendre.
Une histoire intime, dont il se fait le topographe, explorant sans relâche les strates et les failles, les glissements et les mutations. Parfois à son image, ses personnages, qui ne parviennent pas à s’inscrire dans un territoire, une histoire et une filiation, nous disent la complexité du Liban. Un pays que Ghassan a pu dire « suspendu dans le temps ».
« Nous ne sommes certes plus en état de guerre, mais nous ne sommes pas plus en paix, sorte d’improbable entre-deux. Nous sommes au milieu d’un pont dont on ne sait plus s’il est construit ou détruit ». 2002
Né au Sénégal, en 1958, il y passera les treize premières années de sa vie, dans une Afrique à laquelle il dit « se sentir encore profondément attaché ». Revenu à Beyrouth en 1970, il commence par s’y sentir étranger, dérouté, dans ce pays qui, de surcroît, va s’abandonner à la guerre dès 1975.
Ghassan opte alors pour une longue, très longue escale à Paris, pour qui il a un « véritable coup de foudre ». Réfugié au fond de salles obscures, boulimique de cinéma, il se forge au fil des films un goût exclusif pour ce que le cinéma compte de plus exigeant : Dreyer, Godard, Antonioni…
Ghassan choisit de passer par le terrain, tout à tour technicien, assistant, scénariste avant d’oser entreprendre la réalisation en 1999 de son premier long-métrage de fiction, Beyrouth fantôme, sans producteur. Une aventure qu’on peut deviner exténuante.
Il trouve cependant la force de réitérer en 2002 avec Terra incognita, qui sera co-produit in-extremis par l’unité fiction ARTE et Pierre Chevalier, et très remarqué à Cannes cette année-là.
Le dernier homme, produit par Agat Films en 2006, est encore un film issu de Beyrouth, dans Beyrouth, mais pas sur Beyrouth. S’attaquant au mythe du vampire, Ghassan explore alors encore d’autres frontières, d’autres marges. Etrange narration, film viscéral, profondément organique, qui n’en finit pas de hanter le spectateur, mutant lui aussi.
Après avoir vu les 3 fictions de Ghassan Salhab, on sort de cette longue traversée, on pourrait parler de plongée en eaux profondes, convaincu qu’il s’agit bien d’un cinéaste singulier, à la marge. La petite musique intérieure et indicible de ses films viendra nous tarauder longtemps après…